LUTTONS CONTRE LA « GOOGOLISATION » DE L'INFORMATION !

«  Dans la recherche du document menée par l'élève, le documentaliste-passeur a un rival, Google… » (1)

S. Genevois - Janvier 2005

« Googoliser », voici un néologisme venu d'outre-Atlantique pour désigner le fait de passer le nom d'un individu dans Google pour en savoir davantage sur lui. De manière plus générale, le terme souligne à quel point le succès des moteurs de recherche, et en premier lieu de Google, pose la question de l'accès à l'information sur Internet, de son utilisation, mais aussi de son exploitation à des fins personnelles ou pédagogiques. Selon le magazine CRN-Vnunet, «  en mai 2004, 72 % des recherches effectuées sur le Web l'ont été à partir de Google (le célèbre moteur compte plus de 200 millions de requêtes par jour). Avec 37 % du trafic, les moteurs de recherche se positionnent désormais comme la première source de visites du Net. Ils creusent ainsi l'écart avec les liens externes (34 % des visites) et les liens directs (29 %)… Les moteurs de recherche, et particulièrement Google, s'impose de plus en plus comme la porte d'entrée du Web.  » (2)

Chacun connaît les raisons qui expliquent la progression rapide et la réussite étonnante du moteur Google  : l'étude de la popularité des sites en fonction du nombre de liens qui pointent vers eux (technologie PageRank) et le classement dans un index qui dépasse les 4 milliards de page. Aujourd'hui Google diversifie son offre de services, avec la possibilité d'intégrer une barre de recherche personnalisée directement dans son navigateur ou celle de rechercher des documents sur son propre disque dur (Google Desktop Search). Cette intégration n'est pas sans poser des problèmes aux utilisateurs, conduits à confondre la recherche et la navigation, mais aussi à assimiler la recherche de fichiers sur le bureau à celle d'informations en ligne. (3)

Les documentalistes ont depuis longtemps montré les limites de la recherche en plein texte qui donne une grande quantité de résultats, pas forcément tous pertinents en terme de qualité. Dernier venu des grands robots de recherche, Google semble gommer ces inconvénients en analysant automatiquement la requête et en classant les résultats (4). Plus besoin d'opérateurs booléens ni d'annuaires pour faire une recherche thématique sur un sujet donné : Google serait l' « agent intelligent » par excellence, qui permettrait des interrogations en langage naturel, ne nécessitant aucune maîtrise du langage et des techniques documentaires. Mieux : en cliquant sur le bouton "Jai de la chance", on accéderait directement au site espéré. En résumé, Google comprendrait à la place de l'utilisateur ce qu'il cherche véritablement !

Il faut se méfier plus que jamais de cette apparente facilité, de cette fausse transparence. Elle repose sur une triple illusion.

Première illusion  : l'accès direct aux sites les plus importants donnerait la possibilité de sélectionner automatiquement l'information, en dispensant l'utilisateur du travail fastidieux d'identification et de sélection des sources.

Deuxième illusion  : l'utilisateur serait apte à conduire une recherche documentaire dès lors qu'il serait capable d'utiliser un moteur de recherche (Google) et qu'il serait en mesure de débusquer des informations. Or ce qui compte le plus dans une recherche, ce n'est pas de trouver un site mais bien d'établir sa pertinence, de valider ses informations, de croiser les sources, d'exploiter leurs contenus afin d'être en mesure de construire des connaissances (s'informer n'est pas savoir !)

Troisième illusion  : l'immédiateté des réponses dans Google crée le sentiment pour l'utilisateur qu'Internet serait une « grande bibliothèque » donnant accès à un savoir universel et structuré. Or Serge Pouts-Lajus a montré (5) qu'Internet ressemblait davantage à une « rue grouillante, riche, agitée » où l'usager a bien du mal à se répérer, au milieu d'un foisonnement de ressources non classées.

Soyons clair : il ne s'agit pas de nier l'intérêt des moteurs, métamoteurs et autres « agents intelligents » pour la recherche sur Internet. Mais la recherche documentaire va bien au delà de la connaissance des moteurs de recherche ou de la technique des mots clés. Plus grave : l'utilisation massive et systématique de ces outils finit par réduire la recherche documentaire à « la simple traque du bon document » (comme s'il y avait, pour chaque sujet ou chaque personne, « le » document ou l'information-clé à trouver sur Internet). C'est donc bien contre cette représentation de la recherche documentaire qu'il faut essayer de lutter. Et l'école est certainement le lieu privilégié pour donner une autre culture de l'information , qui s'écarte de la représentation dominante des grands pourvoyeurs d'informations que peuvent être Google, MSN ou Yahoo.

Les professeurs-documentalistes et les enseignants de différentes disciplines l'ont bien compris depuis plusieurs années : l'un des enjeux essentiels dans le développement des TICE est de donner aux élèves la capacité de traiter les informations multiples et contradictoires, délivrées par les grands réseaux numériques (qu'ils soient d'ailleurs informatiques ou audiovisuels). L'éducation à l'information est au cœur des TICE, mais plus généralement au cœur de l'éducation du citoyen.

Plusieurs des compétences contenues dans le Brevet Informatique et Internet (B2i) ou dans le Certificat Informatique et Internet (C2i) relèvent de ce besoin impérieux de former à la recherche documentaire en ligne. Pour autant celle-ci est encore trop souvent perçue comme la maîtrise d'une technique (connaissance des outils de recherche, utilisation des mots-clés,…), alors que l'essentiel est plutôt de promouvoir une pédagogie documentaire où le document (numérique ou non) puisse être source d'apprentissage . A cet égard, il n'est pas inintéressant d'observer certaines des évolutions entre le B2i (dont le niveau 2 est sorti en 2000) et le C2i, dont le niveau 2 vient de paraître au BO de décembre 2004 (6) : alors que le premier isolait en tant que telles les compétences documentaires à acquérir, le second les replace davantage dans le cadre de situations d'apprentissage. Cette évolution sensible n'est pas dû seulement au fait que le C2i est un référentiel-enseignant destiné à la formation du professeur utilisant les TICE dans sa classe (à la différence du B2i qui s'adresse plutôt aux élèves) : il s'agit désormais de donner toute sa place à la recherche documentaire sur Internet en tant que processus d'apprentissage. (7)

D'un point de vue pédagogique et didactique, l'utilisation d'Internet peut constituer un moyen efficace pour changer de paradigme d'apprentissage . De la logique traditionnelle de l'imposition (l'enseignant fait cours et les élèves s'entraînent par des exercices), on passe à une logique d'exploration autonome, où l'élève construit lui-même son propre savoir à partir de ses recherches personnelles. La recherche documentaire s'apparente alors à une démarche de résolution de problèmes, où l'accent est mis moins sur la recherche que sur le traitement de l'information  : qu'il s'agisse de la construction d'un dossier documentaire dans une discipline, de la préparation d'un débat en ECJS ou de la réalisation d'un IDD ou d'un TPE, c'est la production finale envisagée qui va déterminer en amont la stratégie de recherche et donc les moyens intellectuels et matériels à mettre en œuvre. (8)

C'est certainement dans le sens d'une méthodologie documentaire sur Internet qu'il convient d'orienter les efforts actuels, en n'oubliant pas que les moteurs ne constituent qu'un outil, certes pratique mais non indispensable, pour démarrer une recherche sur Internet. (9) Face à cette "googolisation de l'information", il existe d'autres méthodes comme par exemple celle que nous avons essayé de mettre en place concernant l'élaboration d'un dossier documentaire à partir d'Internet (en prenant l'exemple d'une question d'actualité : le tsunami en Asie du Sud)

S. Genevois – Formateur TICE – IUFM de Lyon (Janvier 2005)

Sitographie  :

1) « La fonction documentaire au cœur des TICE » in Les Dossiers de l'Ingénierie Educative , éditions du CNDP, n° 49, décembre 2004 : http://www.cndp.fr/DOSSIERSIE/49/som49.asp

2) « Les moteurs de recherche, portes d'entrée du web » Article du magazine CRN-VNUNET (21 juin 2004) : http://www.vnunet.fr/actualite/logiciels/utilitaires/20040621006

3) "L'accessibilité du web n'est pas un leurre, mais elle se réduit à la généralisation des outils de consultation (tout ordinateur doté d'un navigateur), alors que les stratégies de recherche d'information se compliquent de manière exponentielle avec l'augmentation du nombre de sites." Marc Maisonneuve, revue Documentaliste-Sciences de l'information n°3/2003, cité par Jacques Chaumier, in "Des techniques documentaires aux technologies de l'information" Novembre 2004 : http://www.defidoc.com/info_doc_connaissance/DesTechDoc.htm

4) "La suprématie de Google n'est cependant pas sans soulever de réelles interrogations : comment un algorithme, si « génial » soit-il, peut-il choisir les dix réponses « les plus pertinentes » pour la requête « Irak », sur trois millions de pages contenant ce mot ? " Article de Pierre Lazuly, « Le Monde selon Google » in Le Monde diplomatique (octobre 2003) : http://www.monde-diplomatique.fr/2003/10/LAZULY/10471

Dans le même esprit, on peut consulter l'article d'Olivier Le Deuff qui met en cause "le dieu Google, nouvelle religion du cyberespace" :
http://membres.lycos.fr/ledeuff/gde/article.php3?id_article=27

5) « Chercher sur Internet ce qu'on ne trouve pas sur les rayons du CDI ». Interview de Serge Pouts-Lajus pour le site Savoirs-Cdi (mai 2001)
http://savoirscdi.cndp.fr/archives/dossier_mois/poutslajus/poutslajus.htm

6) B2i - Ecole et collège (BO du 23 novembre 2000)
http://www.education.gouv.fr/bo/2000/42/encart.htm

Expérimentation et référentiel du C2i niveau 2 « enseignant » (BO du 16 décembre 2004)
http://www.education.gouv.fr/bo/2004/46/MENT0402675C.htm

Dans le B2i niveau 2 (collège), les compétences mises en œuvre sont :

- Utiliser les principales fonctions des navigateurs.
- Au moyen d'un moteur de recherche, trouver l'adresse d'un site internet et y accéder, en utilisant, si besoin est, les connecteurs logiques.

Dans le C2i niveau 2 (enseignant), il s'agit davantage de :

- Concevoir des situations de recherche d'information dans le cadre des projets transversaux et interdisciplinaires (compétence B1-3)
- Conduire des situations d'apprentissage en tirant parti du potentiel des TIC (compétence B3-1) :

- travail collectif, individualisé, en petits groupes ;
- recherche documentaire.

8) La problématique occupe une place centrale dans une telle démarche de résolution de problème, où l'élève doit définir un mode opératoire pour arriver à dégager des éléments de réponse à la question. C'est pourquoi la définition de la question de recherche, mais aussi la mobilisation et la compréhension des documents primaires, la production d'un document secondaire par l'élève lui-même, jouent un rôle primordial dans cette forme de pédagogie documentaire.

9) Il n'est pas rare de voir certains internautes utiliser Google comme page d'accueil du navigateur et se servir de la barre de saisie du moteur comme barre d'adresse pour naviguer sur la Toile. C'est là une dérive qui pourrait être facilement évitée, si les moteurs de recherche n'étaient pas considérés comme les portes d'entrée uniques sur Internet. Cela renvoie à l'insuffisance de la formation concernant la connaissance des sites portails et la capacité à enregistrer des signets pour retrouver les sites importants.

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